4ème Trail de Rodrigues : tellement authentique, tellement beau !
Il y a des paradoxes difficiles à expliquer. Celui du Trail de Rodrigues peut en faire partie tant il est difficile de concevoir d’aller le plus vite possible sur une épreuve qui se déroule dans un endroit où prendre son temps est une vraie religion. Et pourtant cette année, le Trail a connu, pour sa quatrième année consécutive, un succès sans précédent. Tous les records de participants ont été battus et des joélettes se sont même invitées à la fête à la plus grande joie de deux associations d’handicapés notamment !Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Les Rodriguais ne sont pas fainéants, loin s’en faut. Mais le rythme des journées sur la petite île de l’océan indien est bercé par l’intensité de l’astre solaire. Bref quand il fait très chaud, on se repose et du coup on retrouve sans aucun doute le vrai sens du mot « vie » à notre époque où le net fait circuler les infos à la vitesse de la lumière, où des résultats de course à pied, pour parler de ce que je connais, sont déjà publiés avant même que les épreuves n’aient eu lieu !A Rodrigues, certains diront que l’on a fait le tour de l’île en quelques jours seulement et que deux séjours ne serviraient à rien. Malheureux sont ces gens-là et sans doute sont ils prêts à se lasser tout aussi vite de tout ce que l’on peut leur mettre entre les mains. Car à Rodrigues, rien n’est jamais tout à fait pareil d’un jour à l’autre. Et il faudrait certainement plus d’une vie pour pouvoir imaginer connaître tous les recoins du pays sur le bout des doigts. Alors c’est vrai que ce joyau de l’océan indien n’est pas si grand, quelques dizaines de kilomètres carrés à tout casser, mais le lagon est immense et regorge de merveilles, mais les ravines et autres petits monts s’entrelacent magnifiquement pour donner un paysage à couper le souffle. Les activités nature ne manquent pas du coup et chacun, tourné un tant soit peu vers l’extérieur, peut certainement y trouver son bonheur. Je ne vous parle pas non plus de toutes ses couleurs vives qui changent au fil des heures de la journée. Le bleu et le vert du lagon, le blanc et le nacré du sable, les rouges et jaunes de plantes et des ombrelles des habitantes, les verts et les pastels de la végétation… Flamboyants, arbres du voyageur, cocotiers, bananiers, goyaviers, bougainvilliers, le site est préservé, protégé. Déjà les habitants ont compris l’intérêt de faire attention à leur entourage, à leur environnement. A Rodrigues, on peut se laisser tenter par un pêche à la z’ourite, à pieds en bateaux, par une partie de dominos le soir sur une plage, par un petit tour dans le marché local, par une traversée de l’île dans un bus local à l’ambiance débonnaire. A Rodrigues, on communique facilement aussi. Les gens sont souriants, accueillants et toujours prêts à vous répondre, à échanger aussi. Ils ont le temps de vivre ou ils le prennent, c’est comme on veut. Et du coup, on se sent en sécurité. Il n’y a pas de délinquance sur l’île, pas de violence, les conversations s’enchaînent autour d’un petit verre de rhum ou d’une « Phoenix » fraîche. Le paradis existe donc bien…
Les portes du paradis
Mais du coup, l’enfer ne doit pas être si loin et comme on dit, ne faut-il pas avoir côtoyé le plus dur pour connaître le plus doux ? C’est certainement pour cette raison que quelques passionnés de course à pied ont décidé de mettre sur pied, il y a quelques années un trail décliné en trois distances. Deux petites, ouvertes à tous, pour rassembler le plus possible de monde et pourquoi inciter beaucoup de locaux à se mettre au sport aussi et une grande de 38 km, pour se lancer un défi, pour tenter quelque chose. Car la vie du Rodriguais n’est pas aussi simple que son pays est beau. Le travail n’abonde pas et il faut bien se nourrir. Du coup entre la pêche, l’agriculture, l’élevage et un peu de tourisme, ils sont nombreux à rêver d’une vie meilleure sur l’île voisine, Maurice, même si ceux qui « tentent le coup », en reviennent le plus souvent désenchantés… C’est rarement mieux ailleurs ! La course est une façon d’exister, de se changer les idées, de se montrer un peu aussi. Et d’une certaine manière, Antoinette Milazar, a plus que gagné son pari. L’an dernier, elle remportait l’épreuve en finissant dixième au général. Cette année, dans un contexte plus relevé encore, elle gagne encore et finit huitième au total devant tout de même une certaine Emilie Leconte, marraine de l’épreuve et vainqueur entre autre du Grand Raid de la Réunion. Antoinette s’est fait un nom. On commence à en parler un peu partout désormais dans le monde du trail et il parait évident qu’elle va se faire inviter sur quelques belles courses des îles voisines pour prouver sa vraie valeur et pourquoi pas bientôt en France pour un destin encore plus grandiose. L’avenir nous le dira bien…Mais pour l’heure, je reviens avec vous sur ce sentier de la souffrance. Vers le kilomètre 13 justement, Antoinette me double dans une montée interminable. Tout en haut des dizaines de locaux scandent son nom. Elle trottine sans changer de cadence. Elle est insaisissable. Elle revient toute aussi légèrement sur le Mauricien Yann de Maroussen, qui est pourtant un sacré gaillard. Je suis la tête dans le sentier comme on dit, arc bouté sur mon effort. Le soleil est mon ennemi aujourd’hui, comme il va l’être pour beaucoup des 250 inscrits à la longue distance. On sera plus de 750 en tout sur la matinée à courir sur une distance au moins des trois proposées. Je connais la course pour l’avoir couru deux fois auparavant. Je sais qu’une chape de plomb va s’abattre sur moi à un moment ou à un autre. En venant directement de France, on ne peut se préparer si vite à l’agression du soleil, d’autant plus que les deux ou trois jours précédents la course, cette année, il a fait particulièrement bon. La faute à une dépression qui a tourné sur l’océan indien juste avant notre arrivée, faisant plaisir à tout un peuple qui manque, rappelons-le au passage, cruellement d’eau. Devant, bien loin devant, les Réunionnais et les Mauriciens, un peu chez eux, se disputent la victoire. Julien Chorier, venu donc pour une deuxième fois, essaye de tenir le cap. Cette fois, il ne sort pas tout juste d’un Grand Raid, il est en pleine préparation pour la Saintélyon de début décembre. Il va donc jouer sa carte à fond. Il finira quatrième finalement. Ittoo Madeo (alias Vishal), déjà vainqueur avec Fabrice Armand (Réunion) en 2011, malheureux en 2012 – abandon deux fois deuxième, ira chercher la victoire, au nez et à la barbe du grand favori, René Paul Vitry qui lui, finira main dans la main avec son copain réunionnais, Armand. Moi, j’attends déjà le coup de grâce. La montée vers « chez Jeannette », célèbre table et maison d’hôte de l’île, semble interminable. Le coca frais servi dans une ambiance africaine, avec séga endiablé, remet du baume au cœur. Mais cela ne suffit pas. Le soleil tape de plus en plus. Bientôt chaque pas sera une douleur supplémentaire, les muscles sont contractés et se crispent dans d’insurmontables crampes. J’ai essayé de boire le plus régulièrement, j’ai pris quelques pincées de sel aussi ici et là sur les ravitos, cela ne suffira pas. Je m’arrête quelques minutes devant une petite table installée là par des habitants dont la case est juste derrière. Quelques verres qu’ils nous tendent et qu’ils ont su garder au frais. Et dire que pour eux, l’eau est sacrée ! Plus loin, un autre spectateur porte un cochon dans un sac en bandoulière. Il est fier et heureux. L’animal un peu moins. C’est dimanche, jour de fête aussi et pas que de trail. Chacun que le sentier tracé à travers quelques villages et pas mal d’habitations disséminées nous gratifie d’un encouragement. Les petits nous suivent en courant sur quelques mètres, et s’en retournent pour faire de même avec ceux qui arrivent derrière moi, les « mamas » ne crient pas et n’applaudissent pas et pourtant, on entend juste en passant devant un « allez courage mon brave ! » et cela fait vraiment chaud au cœur. Le Rodriguais est réservé et pas exubérant. Mais il est prêt aussi à aider et à rendre service. En tout cas, il commence à bien connaître son « trail », sa course et attend le passage des coureurs depuis longtemps déjà. De là à ce que le Trail de Rodrigues devienne le Tour de France du coin, il n’y a qu’un pas… Et c’est ce pas là justement qu’Aurèle, l’organisateur, Eric, le directeur de course, et toute son équipe, ne demande qu’à franchir, bien aidés qu’ils sont par l’Office du tourisme et quelques sponsors fidèles. Pour ma part, je franchirai la ligne, quelques heures plus tard, repus, mais heureux. Heureux aussi de pouvoir reprendre mon temps. Mon temps de vie !
Rémy Jégard
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