Tataouine, un lieu magique, le bout du monde lorsqu’on s’y réfère. On pense alors envoyer quelqu’un au diable quand il ne s’agit que d’un paradis. Une autre planète, sans doute, parmi d’autres étoiles. Un oasis, un havre de paix, un lieu de vie en plein désert. Cette fois, on n’y vient pas faire du cinéma*. Seulement courir, courir et se recueillir. Rencontrer et découvrir. C’est donc là-bas le trésor : l’aviez vous cherché ? Vous l’avez manqué. Sur ces vagues de dune, les jambes et le corps meurtris par les efforts, les yeux rivés vers le ciel d’un bleu roi, l’heureux coureur scrute l’horizon. Il poursuit sa course entre les pierres, hume, profite de chaque grain de sable. Le sac et l’outre lui collent à la peau. Ses tempes sont blanchies de sel. Il fait doux, la lumière intense renvoie des couleurs vives. Du bleu, du blanc, de l’ocre. Sous les pieds de l’infatigable qui chemine, l’immensité du désert. Ses pas sont feutrés. Ici, le silence s’écoute, il suffit de lui tendre l’oreille. Il ferme alors les yeux. Et son imagination déborde. Deux jours durant. Le temps de vivre une des plus belles aventures que la vie puisse réserver : un week-end évasion à Tataouine.
Le week-end évasion a été proposé cette année pour la troisième fois. Trois courses en deux jours. 31 décembre et 1er janvier, les dates font référence. Une aventure humaine qui défie les hommes tout en les rapprochant. Ksar Ghilane, Douiret et Guermassa dans l’extrémité sud de la Tunisie. Du sable et des pierres. Quelques oliviers. Olivier, Pierre et quelques autres. Des privilégiés qu’ont déposés là un vaisseau de la Tunisia Air. En une traversée du désert, l’association Carthago propose aux participants une pénétration totale dans la culture tunisienne, un partage, une découverte, un mélange. Elle emmène les coureurs chez l’habitant, au cœur de l’erg, puis du reg, un bivouac dans l’oasis, un déjeuner sous les tentes des nomades berbères et une nuitée en village d’habitations exclusivement troglodytes et séculaires. Quelle originalité pour un réveillon loin de tout. Le son des darboukas, des tabls, leurs rythmes endiablés, la lancinance des guitas et des mezoueds résonnent encore sur la place. Frénésie d’un nouvel an passé au clair d’une pleine lune. Boire et courir, il n’y a pas lieu de choisir. Aux efforts fournis, aux kilomètres parcourus, s’ensuivront le délassement dans l’un des plus beaux hôtels. Djerba la douce. Aussi court soit le séjour, l’évasion que propose Azdine Ben Yacoub sur la terre de ses ancêtres n’a pas de prix. L’instigateur de l’épreuve est Tunisien et vit à Paris. Cultivé, passionné par les deux pays, il sait orchestrer avec talent l’organisation de l’épreuve qu’il a lui-même créée. Sa gouaille, son verbe, son sens du troc, ses qualités en relations humaines, ses connaissances ouvrent toutes les portes du désert. Azdine chez lui offre à la caravane qui passe la clé du désert, l’eau
désaltérante de l’oasis. Il initie le curieux coureur à sa propre culture, aux saveurs culinaires, au dessous des souks, à la musique, aux danses, aux chants. Bel entrain pour l’entrainement. Prétexter courir ne dupe plus personne. Mangez, buvez, courez, chantez,
dansez. La soif de découverte, la faim du dépaysement, l’échange avec les Autres sont des critères aussi prioritaires que le goût de l’effort. La compétition est secondaire.Trois courses en deux jours. La première, courue la dernière journée de l’année est longue de dix huit kilomètres et traverse le sable exclusif des dunes autour de Ksar Ghilane. Le sable fin s’immisce volontiers en boules compactes dans la chaussure du marathonien, réduit l’espace, contraint. La silice irrite les chairs. Les ampoules s’allument. La seconde spéciale, courue de nuit, emporte l’évadé et sa frontale dix kilomètres durant sur les chemins caprins du plateau rocailleux de Douiret. Fléchage à
l’épée fluo. Le faisceau de la lampe ne livre pas les rochers mais les compose, nourrit de matière tendre chaque chose. Le ciel noir s’est chargé de cotonnade que la lune embrase. Sous les pas assourdis, ce n’est plus vraiment le luxe du sable épais. Les incongruités du sol appellent à la vigilance. Le menu d’un réveillon de nouvel an fera office de ravitaillement. Place à la fête, aux embrassades. La terre clôt une nouvelle révolution. 2013 est née. La nuit sera courte et la dernière course, disputée la première matinée de l’année, impose aux jambes aguerries de digérer le champagne englouti. Dix huit nouveaux kilomètres de pierrailles et de pierriers pour réussir à parfaire son évasion. S’évader, ne plus vivre enfermé, s’ouvrir, s’échapper, parvenir, parcourir. Chaque concurrent donne le meilleur de lui-même, se laisse prendre au jeu, se défend, se défie. Derrière Laurent Labit, impérial sur les trois étapes, la jeunesse de Valentin Tubeuf fait un pied de nez final aux quinquagénaires Brice Rohaut et Karim Mosta. Chacun des participants s’est démené pour préserver sa place et gagner son classement. Tous ont couru, ou marché, avec leurs possibilités, leur talent, leur volonté. Les trois parcours
proposés lors du week-end évasion ont été autant de mises à l’épreuve et d’exploits peu communs.
Regardez ces photos du désert. C’est pour beaucoup de ceux qui ont déjà fait le détour, le plus beau paysage du monde. Week-ends évasion ou marathons des oasis, l’esprit des trails proposés par Carthago est tellement hors normes qu’il convient ici d’alerter le lecteur. Carthago propose sur le même terrain de jeu à deux autres moments de l’année des manifestations similaires, fin avril, fin novembre et fin décembre. Il vous appartient dorénavant d’enregistrer votre prochaine participation à l’une de ces aventures. En ces temps agités decrise, d’intolérance religieuse et de révolutions, la Tunisie est quoique l’on en dise, restée paisible. Quiconque prétendrait le contraire s’avérerait auteur de canulars. La précision est de taille. Le pays, si accueillant, est maintenant boudé par les touristes que leurrent injustement certains médias. Croyez-le, tenez vous prêts, et laissez-vous tenter. Allez vous aussi goûter à l’évasion. Vous n’en reviendrez certainement pas comme vous en êtes partis. Inch’Allah.(*Georges Lucas a tourné la planète Tatooine de Star Wars dans ces contrées)
Brice de Singo.